L’assistance sexuelle : qu’est-ce-à-dire ? Quels enjeux ?

L’assistance sexuelle : qu’est-ce-à-dire ? Quels enjeux ?

Pierre Brasseur, doctorant en sociologie à l’Université de Lille 1 (Clersé – Associé au CeRIES (Lille 3))

Pauline Detuncq, étudiante en Master 2 de sociologie politique à l’IEP de Paris

Introduction

Mars 2013. Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) rend son 118° avis. Cette institution, surnommée par la sociologue Dominique Memmi “le gardien des corps” (Memmi, 1996), a pour habitude de rendre des avis dits “objectifs” sur des domaines de la vie sociale qui posent problème dans le domaine de l’éthique. Le CCNE avait été saisi en 2011 par Roselyne Bachelot, alors ministre de la solidarité et la cohésion nationale. Cet avis est nettement défavorable à la mise en place de services d’assistance sexuelle. Il affirme qu’en “matière de sexualité des personnes handicapées, le CCNE ne peut discerner quelque devoir et obligation de la part de la collectivité ou des individus en dehors de la facilitation des rencontres et de la vie sociale, facilitation bien détaillée dans la Loi qui s’applique à eux” (CCNE, 2012). Le passage par la case “CCNE” contribue à faire de l’assistance à la sexualité, et d’une possible législation la favorisant, un problème social et politique à part entière. C’est pourquoi nous souhaitons revenir sur cette question et en présenter les enjeux pour le législateur, les associations de personnes en situation de handicap et les citoyens. Dans un premier temps nous reviendrons sur l’émergence de ces questions, pour faire dans un second temps un point sur les controverses actuelles. Notre but n’est pas de prendre parti, mais de rendre compte des termes du débat pour que chacun puisse se faire une idée.[1]

Assistance sexuelle : émergence d’une revendication

La possibilité d’une assistance sexuelle à la française émerge à partir des années 2000. Dans le reste du monde de nombreux pays avaient déjà réfléchi à cette question : à qui attribuer la tâche de s’occuper de la sexualité des personnes en situation de handicap les plus dépendantes ? Les réponses sont diverses. Par exemple aux Etats-Unis, il existe dans certains Etats une assistance à la sexualité “généralisée”, c’est-à-dire pas seulement pour les personnes en situation de handicap. Inventée par les sexologues Masters et Johnson (1970), elle est prodiguée par des sex surrogates, ce que l’on pourrait traduire par “partenaires de remplacement”. Leurs services sont destinés à des personnes ayant des difficultés avec leur sexualité, nécessitant une rééducation notamment émotionnelle. Ces sex surrogates, en quelque sorte prescrits par un sexologue, essayent aujourd’hui de se réunir en syndicat, élément essentiel vers une professionnalisation. En Europe, il faut attendre les années 1980 pour qu’apparaisse une réflexion sur la question : aux Pays-Bas la SAR (Stichting Alternatieve Relatiebemiddeling, que l’on pourrait traduire par Fondation pour les relations alternatives), voit le jour en 1982. Ici pas de sexologue, mais une association mise en place par des personnes en situation de handicap mécontentes de l’inaccessibilité des maisons closes. La fondation propose une aide à la vie sexuelle mais aussi un service d’information et d’éducation à la sexualité. D’autres pays suivent : le Danemark en 1987, puis l’Allemagne en 1995 (qui propose à travers l’association Sensis, un service de contact corporel). La fonction est néanmoins envisagée de façons très différentes : une formation des prostitué.e.s aux Pays-Bas ; une volonté de se distinguer de la prostitution aux Etats-Unis ; un contact érotique en Allemagne où la pénétration est proscrite. Les sociétés bricolent des solutions en fonction des mobilisations, des besoins et des législations.

Plusieurs événements ont contribué à l’émergence de la revendication en France. Parmi ceux-ci, le vote de la loi 2005, dans laquelle il est prévu une compensation de toutes les conséquences du handicap. Si beaucoup de droits ont été conquis (travail, logement, accessibilité, éducation, etc.), le domaine de la “vie affective et sexuelle” est la “dernière barrière à faire tomber”[2]. L’idée d’une compensation légitime de tous les effets du handicap laisse donc espérer la possibilité de voir la question sexuelle émerger. Deuxième événement important : l’instauration d’une assistance à la sexualité en Suisse romande en 2009, après avoir été mise en place en 2003 dans la région alémanique au sein du Centre Handicap et Sexualité de Bâle. Les débats suisses font écho dans la presse française à un moment où les principales associations du handicap moteur commencent à s’organiser pour penser la sexualité comme objet de revendications collectives.

Colloque de 2007 : naissance d’une cause

Ces deux épisodes mènent à un consensus au sein du champ du handicap moteur : il faut faire bouger les choses. On a beaucoup parlé de la sexualité auparavant : les années 1990 notamment ont été des moments de grandes réflexions sur la sexualité de la personne en situation de handicap, tous handicaps confondus. Dès le début des années 1980, Alain Giami avait mis en évidence que les personnes handicapées mentales étaient vues comme des anges asexués par leurs parents et au contraire comme des bêtes hypersexuées par les professionnels de santé. En conséquence, l’organisation institutionnelle du handicap mental, qui tend à s’assouplir aujourd’hui, visait la limitation des pratiques sexuelles, et particulièrement celle du coït hétérosexuel (GIAMI, 1982, 2013). Cet ouvrage a grandement contribué à la lente reconnaissance du droit à la vie privée dans les établissements, officiellement entériné par la loi de 2002 rénovant l’action dans le domaine du médico-social (Giami, 2013).

Néanmoins, au delà de l’impératif de permettre aux personnes handicapées de vivre leur sexualité, le constat fait par les associations du handicap moteur est le suivant : la société porte un regard négatif sur le corps handicapé ; les normes esthétiques et de performance en matière de sexualité, empêchent la personne handicapée d’être un partenaire comme un autre. C’est notamment face à ce constat qu’est organisée les 27 et 28 avril 2007, une journée d’étude “Dépendance physique : intimité et sexualité” au parlement européen, faisant intervenir de nombreuses personnes en situation de handicap. Elle a été investiguée par Marcel Nuss (conférencier écrivain et militant actif dans le domaine de la santé et du handicap) en collaboration étroite avec de grandes associations comme l’Association des Paralysés de France, l’Association Française contre les Myopathies, Handicap International et la Coordination Handicap et Autonomie. On peut dire de ce colloque qu’il est point de départ d’une lutte officielle pour l’instauration d’une assistance à la sexualité en France. En effet dans les actes du colloque, Marcel Nuss se donnait deux ans pour que soit instaurée dans la loi de répression du proxénétisme, une exception pour les personnes en situation de handicap les plus dépendantes. C’est justement le rapprochement de l’assistance sexuelle et de la prostitution qui pose problème aujourd’hui en France.

De fortes oppositions inattendues : les enjeux du débat

La position abolitionniste de la France

Le combat pour « l’accès à la sexualité » est né d’une prise de conscience collective de la situation de grande frustration sexuelle dans laquelle se trouve une part importante de personnes handicapées, notamment en situation de dépendance vitale. L’accompagnement sexuel a donc été pensé comme une réponse possible à cette souffrance. Il faut cependant noter que dans les pays où de tels services existent, l’attitude à l’égard de la prostitution est foncièrement différente. La France, elle, se situe dans une politique “abolitionniste” ou anti-prostitution. Pour faire simple celle-ci n’est pas interdite en tant que telle mais ses conditions d’exercice sont considérablement entravées. Toute forme d’organisation d’un service prostitutionnel est sévèrement punie par la loi. De fait, la personne en situation de handicap peut faire appel à un.e travailleur.se du sexe : mais au delà du constat fait par les partisans de l’accompagnement sexuel de refus fréquent des prostitué-e-s de travailler avec des client.e.s handicapé.e.s, le fait de servir d’intermédiaire entre la personne en situation de handicap et le travailleur ou la travailleuse du sexe est considéré comme du proxénétisme (et donc puni par la loi). Même chose, si l’on veillait à la mise en place d’une formation ou d’un service de mise en relation de client.e.s handicapé.e.s et de travailleur.se.s du sexe. Même si le législateur n’a pas jugé bon de donner une définition précise de la prostitution, la jurisprudence, la décrit comme le fait de “se prêter, moyennant rémunération à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui” (Cour de cassation, chambre criminelle, 27 mars 1996). En l’état des choses, l’assistance sexuelle en relève donc pleinement. La seule solution qui n’exigerait pas de modification des textes du code pénal caractérisant le proxénétisme, serait de rendre cette assistance bénévole, ce qui a d’emblée été écarté par ses promoteurs.

Cette politique dissuasive, ou abolitionniste, qui a cours depuis la fin de la seconde guerre mondiale, fait aujourd’hui consensus, à quelques exceptions près, de l’extrême gauche à l’extrême droite (MATHIEU, 2014). Exploitation capitaliste, esclavage, atteinte à la dignité humaine, violence sexiste, ou encore vecteur d’immigration irrégulière : toutes les raisons sont bonnes pour éradiquer ce « fléau » de la société. Tout l’enjeu pour les promoteurs de l’assistance sexuelle a donc été un travail politique de différenciation de cette activité d’avec la prostitution, tant dans sa nature (justification et objectifs), dans ses modalités, que dans le profil de ceux qui l’exercent. En témoignent les propos de Marcel Nuss dans le Livre Blanc issu du colloque de 2007 : « la confusion entre accompagnement à la vie affective et sexuelle et prostitution n’est pas permise » (NUSS, 2008, p.27). En théorie, l’accompagnement sexuel s’adresse à des personnes « qui n’ont pas la maîtrise de leur corps », soit parce qu’elles ne sont pas libres de leurs mouvements et ne peuvent pas, par exemple se masturber, soit en raison d’un handicap psychique ou mental qui les déconnecte de leur « corporalité » (NUSS, 2008, p.2). Son but premier est la découverte de son corps et “l’apprentissage” de la sexualité pour des personnes qui n’en n’ont jamais fait l’expérience. Ses promoteurs dénoncent le manque cruel d’un toucher sensuel et humanisant, les personnes handicapées dépendantes se transformant en véritables « objets de soin ». Il s’agit donc de retrouver confiance en soi et dignité à travers le contact érotique, sensuel et/ou sexuel avec l’autre. Le caractère humaniste de l’assistance sexuelle est ainsi mis en avant, par opposition à la prostitution, souvent réduite à l’imaginaire de la « passe », dégradante et vénale. La limitation préalable du nombre de séances entre un.e client.e et un.e assistant.e permettrait d’éviter ainsi tout clientélisme. De plus, afin de s’assurer que la motivation des assistants sexuels n’est pas financière, les revenus principaux des assistants sexuels devraient provenir d’une autre source. En même temps, l’assistance sexuelle bénévole est proscrite, car elle risquerait d’attirer les pervers, notamment ceux qui sont attirés sexuellement par les invalides.[3] L’échange d’argent permettrait également de clarifier la relation en évitant les « transferts affectifs ». Ces diverses précautions sont largement inspirées de l’expérience suisse, où les critères de sélection des assistants sont stricts. Ceux-ci doivent aussi avoir plus de trente ans, une situation conjugale stable et pratiquer des tarifs modérés. Le coût de la formation, de plusieurs centaines d’heures, est du reste à leur charge. On s’assure ainsi du volontarisme, des motivations altruistes et de l’éthique des futurs accompagnateurs et accompagnatrices sexuels.[4]

La question du genre

Néanmoins ce travail de dissociation du stigmate de la prostitution ne suffit pas à convaincre les abolitionnistes. Au-delà de l’ombre de la traite et de la question du consentement à entretenir des relations sexuelles contre rémunération dans un contexte d’inégalités économiques, tout service sexuel est immédiatement soupçonné d’être l’instrument d’une domination de genre. Dans les années 1990, la grande majorité des associations féministes françaises ont rejoint le camp des anti-prostitution, à l’origine plutôt conservateur et catholique (MATHIEU, 2013).

La question du travail sexuel constitue un clivage fort au sein du féminisme, apparu dès les années 1980 aux Etats-Unis. On a vu naître ainsi deux courants, communément appelés radical et pro-sexe. Le féminisme radical considère que la domination masculine s’exprime de manière exacerbée dans la sexualité, et que la prostitution et la pornographie en sont les parfaits avatars. La prostitution contribuerait ainsi à la dégradation des femmes dans leur ensemble. S’il est vrai que la quasi totalité de la clientèle des travailleurs et travailleuses du sexe sont des hommes, les féministes pro-sexe répondent que l’établissement d’un échange économico-sexuel, basé sur un contrat explicite, ne constitue pas une violence en tant que tel. Les prostitué.e.s, lorsque de bonnes conditions d’exercice leur sont garanties, seraient à égalité avec les clients pour l’établir. Pour certaines femmes, la prostitution est une activité volontaire, synonyme d’indépendance financière et donc d’autonomie (TABET, 2004). La question de l’assistance à la sexualité est également traversée par ces mêmes oppositions profondes.

Réalisant la centralité du genre comme enjeu de controverses sur la prostitution, les militants pour l’assistance sexuelle ont donc pris soin de mettre au cœur de leur discours des témoignages de femmes handicapées appelant de leurs vœux les services d’un assistant sexuel. Lorsque CH(s)OSE s’est créée le 5 janvier 2011, (association de lobbying officiel pour la mise en place de services d’accompagnement sexuel en France), il est apparu évident que celle-ci ne pouvait être présidée que par des femmes. En Suisse où de semblables réticences liées aux inégalités de genre s’étaient faîtes sentir, les formations ont été volontairement paritaires (NAYAK, 2013), même si les hommes handicapés sont bien plus nombreux que les femmes à solliciter de tels services. C’est au final un truisme de tous les services d’assistance à la sexualité – mais aussi du travail du sexe en général – à travers le monde : la prédominance d’une demande masculine. Mais il serait faux de croire que cet état de fait soit lié à des questions de nature et de besoins sexuels différents entre femmes et hommes (handicapés ou non). La dernière grande enquête sur le comportement sexuel des français a bien montré qu’hommes et femmes n’avaient pas les mêmes représentations sociales de la sexualité : la sexualité féminine est encore davantage associée à l’affectif et au conjugal alors que la sexualité masculine est considérée comme plus pulsionnelle et individuelle (BAJOS, BOZON, 2008). Cependant ce n’est pas la nature qui commande cela , mais bien des croyances intériorisées depuis de longues années (HERITIER, 1996). L’idée selon laquelle les hommes auraient des besoins sexuels naturellement plus importants est extrêmement réductrice. Elle contribuerait, en plus, à véhiculer des stéréotypes et à justifier de nombreux abus. Ce contexte influence les comportements, les demandes, les désirs exprimés – à la fois des personnes en situation de handicap, qui intériorisent la norme, mais aussi des professionnels qui les interprètent. La dissociation forte entre l’affectif et le sexuel qu’implique l’assistance sexuelle peut expliquer, en partie, la moindre demande des femmes.

Marchandisation du corps et nouveau ghetto sexuel

Les promoteurs de l’assistance sexuelle ont bien pris soin d’écarter l’imaginaire de la prostituée étrangère exploitée par un réseau de proxénètes sans merci et de présenter cette activité comme une offre paritaire à destination des hommes comme des femmes. L’avis rendu en mars 2013 par le CCNE a néanmoins été défavorable à la création de tels services, non pas pour des motifs anti-exploitation ou féministes mais au nom du célèbre principe de non-marchandisation du corps. « On ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre. Il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles ». Aujourd’hui encore, la majorité de la classe politique française s’accorde sur le fait que mettre ainsi en jeu son corps dans sa plus grande « intimité » constitue une atteinte à sa propre intégrité. Procurer des relations sexuelles tarifées serait donc une pratique autodestructrice à décourager. Il convient de préciser ici que le droit français n’affirme que le principe de non-patrimonialisation du corps : on ne peut en vendre les parties ou les produits (organes, sang, sperme, etc.), à quelques exceptions près (cheveux, lait maternel). L’argument de la non-marchandisation du corps dans le cadre du débat sur l’acceptabilité ou non de services sexuels tarifés renvoie en réalité à la signification que l’on accorde à la sexualité et à l’argent et au rapport que l’on a au corps. Les membres du CCNE comme les abolitionnistes n’envisagent de relations sexuelles saines que sur la base d’une réciprocité du désir, voire de sentiments amoureux et hors de tout cadre transactionnel. C’est donc en réalité sur ce point que s’opposent fondamentalement les pro et les anti-assistance sexuelle. Une partie du monde du handicap s’oppose néanmoins à la mise en place de services d’accompagnement sexuel spécifiques aux personnes handicapées, non sur la base d’un engagement abolitionniste mais en raison de son potentiel ghettoïsant. On pense notamment à Rémi Gendarme, Zig Blanquer et Pierre Dufour pour qui cette revendication particulariste va à l’encontre du « modèle social » du handicap et de l’impératif d’inclusion promu par la loi de 2005. Mouvement d’assistance des valides envers les personnes handicapées, l’accompagnement sexuel serait symptomatique du modèle médical que les disability studies ont tenté d’éradiquer ces dernières décennies. Ce serait s’aligner de surcroit sur une vision de la sexualité comme performance qui pose à tort le handicap comme obstacle indépassable en matière sexuelle.

Des obstacles indépassables?

Devant cette impasse liée à l’abolitionnisme d’Etat, Jérôme Guedj, président du Conseil Général de l’Essonne avait tenu des propos pour le moins originaux suite à l’avis du Comité d’éthique. S’écartant de la rhétorique du “droit à la sexualité” revendiqué par CH(s)OSE, celui-ci avait poussé plus loin la logique de l’autonomie sexuelle en reformulant la problématique de l’assistance sexuelle en celle de l’éveil à la sexualité. Celui-ci ne serait qu’une étape nécessaire pour les « personnes lourdement handicapées » vers la construction de leur propre vie amoureuse et sexuelle « comme tout un chacun ». Les assistants seraient formés, sur la base du volontariat, au sein des Services d’Accompagnement à la Vie Sociale. Ils exerceraient cette activité en plus de leur fonction d’éducateur, d’aide-soignant, d’aide-médico-psychologique, etc. Leur statut de salariés permettrait ainsi d’éviter la relation tarifée qui est constitutive selon Jérôme Guedj de la relation de domination intrinsèque à la prostitution, que celui-ci déclare combattre par ailleurs.

Face aux mêmes obstacles, Marcel Nuss, premier instigateur de la cause, a depuis 2011 pris le contrepied inverse. Admettant que la misère sexuelle n’est pas le propre des personnes handicapées, il renonce à ce que des services d’accompagnement sexuel soient financièrement pris en charge par la collectivité. Au même moment il se rapproche du STRASS (Syndicat du Travail sexuel) et cesse de défendre une exception à la loi sur le proxénétisme mais plutôt une profonde modification des textes qui permette la libre prostitution en France, au nom de la liberté à disposer de son corps.[5] Afin de provoquer la justice en mettant en jeu sa notoriété publique, il souhaite créer prochainement un site internet qui mette en relation travailleur.se.s du sexe formé.e.s à l’accompagnement sexuel et client.e.s handicapé.e.s au sein de sa nouvelle Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS).

Conclusion

Bien que non formulée en ces termes par ses promoteurs initiaux, la revendication d’assistance sexuelle pose la question fondamentale de savoir si l’on peut oui ou non revendiquer la liberté de recourir à des services sexuels. En insistant sur la situation particulière des personnes handicapées “n’ayant pas accès à leur corps”, CH(s)OSE a néanmoins parfaitement réussi son pari de faire de l’assistance sexuelle un objet “politique” légitime, au delà du débat sur la prostitution. Le débat est passionné et passionnant : il amène ainsi toute la société à réfléchir sur des questions aussi diverses que la place de “l’intime” dans les demandes des nouveaux droits ; la mobilisation de “l’intime” dans les métiers du soin ; la délimitation concrète du “sexuel” ou encore le caractère thérapeutique des relations sexuelles. Si le débat actuel a fait émerger de nombreux témoignages sur la sexualité de certaines personnes handicapées, on ne sait pourtant pas encore grand chose sur “la sexualité des handicapés”. Existe-t-il d’ailleurs une « sexualité des handicapés » ? Si oui, cela supposerait alors qu’il existe certains critères permettant aussi de définir une « sexualité des valides ». Selon quelles caractéristiques ? Peut-on arriver à une sorte d’invariant dans la façon dont les personnes en situation de handicap vivent leur sexualité? Les quelques enquêtes déjà menées prouvent le contraire (Shakespeare, 1996 ; Berthou, 2012 ; Brasseur, 2014 ; Colomby, Giami, 2001)

Bibliographie

BAJOS Nathalie, BOZON Michel (dir.). Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé. Paris : La Découverte, 2008.

BERTHOU Aurélien. « Quand l’un reçoit l’autre. La reconstruction de l’intimité conjugale au sein d’un centre de rééducation », Alter – Revue européenne de recherche sur le handicap, 2012, vol. 6, n° 2.

BRASSEUR Pierre. « Des amours handicapées ? Essai d’une sociologie compréhensive » In DELATTRE Valérie, SALLEM Ryadh (dir.). Handicap : Sexualité, affectivité et dignité, Paris : CQFD, 2013.

COLOMBY (DE) Patrick, GIAMI Alain. « Relations socio-sexuelle des personnes handicapées vivant en institution », Document de travail – Série études DRESS, Paris, INSERM, 2001.

COMITE CONSULTATIF NATIONAL D’ETHIQUE, Avis n°118, Paris, 27 septembre 2012.

GIAMI, Alain, HUMBERT-VIVERET, Chantal, LAVAL, Dominique. L’ange et la bête : représentations de la sexualité des handicapés mentaux par les parents et les éducateurs. Paris : CTNERHI, 1983.

GIAMI, Alain. « Pornographie et handicap ». Cités. mars 2003, n° 15, p.43-59.

GIAMI, Alain. « Les évolutions de la question sexuelle chez les handicapés depuis les années 80 : permanence et changements », communication à la journée d’étude « Le handicap au regard de l’intimité » organisée par le GT Handicap(s) et Société, Lille, 21 janvier 2012. URL : http://lille1tv.univ-lille1.fr/videos/video.aspx?id=dc7aec68-cf85-4966-b703-75c99b2fa450.

GIAMI, Alain, PY, Bruno, TONIOLO Anne-Marie (dir.). Des sexualités et des handicaps : Questions d’intimités. Presses Universitaires de Nancy, 2013.

HÉRITIER, Françoise. Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris : Odile Jacob, 1996.

MATHIEU, Lilian. La fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution, Paris, François Bourin Editeur, 2014.

MEMMI Dominique. Les Gardiens du corps. Dix ans de magistère bio-éthique. Paris : Éditions de l’EHESS, 1996.

NAYAK, Lucie. Une logique de promotion de la « santé sexuelle » : L’assistance sexuelle en Suisse. Ethnologie française, mars 2013, vol. 43, p. 461-468.

NUSS, Marcel (dir.). Handicaps et sexualités : Le livre blanc. Paris : Dunod, 2008.

SHAKESPEARE Tom, GILLESPIE-SELLS Kath, DAVIES Dominic. Sexual politics of disability : untold desires. London : Cassell, 1996.

THIERRY, Jean-Baptiste. Libres propos sur l’assistance sexuelle In DEFFAINS, Nathalie, PY, Bruno (dir.). Le sexe et la norme. Presses Universitaires de Nancy : 2010.

DAHINDEN, Janine, HERTZ, Ellen LIEBER, Marylène (dir.). « Cachez ce travail que je ne saurais voir – Ethnographies du travail du sexe ». Editions Antipodes, 2010.

TABET, Paola. La Grande arnaque. Sexualité des femmes et échanges économico-sexuels. Paris : L’Harmattan, 2004.


[1] Cet article se base sur deux enquêtes (en sociologie et sciences politiques) sur les discours autour de l’assistance à la sexualité en France. Elle est basée sur la consultation d’archives et la réalisation d’entretiens auprès des principaux acteurs de la question.

[2] Propos de Julia Tabath le 8 février 2013 au colloque Assistance sexuelle : présence à l’autre ou marchandisation du corps? organisé par CH(s)OSE

[3] La focalisation excessive sur les personnes en situation de handicap, notamment les amputées, est décrite en psychiatrie comme une paraphilie, c’est-à-dire une conduite sexuelle déviante par rapport à la norme dominante. A ce sujet voir Giami, 2003.

[4] Il est intéressant de voir en creux, les images que se font ces collectifs de l’activité prostitutionnelle. Sur d’autres visions du travail du sexe, voir Marylène Lieber, Janine Dahinden, Ellen Hertz (dir.),  2010.

[5] Voir notamment les billets publiés sur son blog. URL : http://nussmarcel.fr/blog/

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