VIH

Les femmes et le VIH

Pourquoi les femmes sont-elles absentes du domaine du VIH? Au cours des trente-cinq dernières années, l’épidémie de VIH/sida a profondément modifié la relation entre la médecine, la santé publique et la société. Les sciences sociales ont joué un rôle clé dans la documentation des questions liées à la prévention, à l’expérience de la maladie et à l’accès aux soins.  En France, l’émergence du VIH a créé les conditions pour développer un champ de recherche sur différentes dimensions de la sexualité et de la santé sexuelle : comportement, perception du risque, conjugalité, sociabilité et identité. C’est vrai à l’échelle internationale. Au Nord, comme au Sud, la recherche sur le comportement sexuel et la prévention a donné lieu à une vaste littérature scientifique étroitement liée aux préoccupations de santé publique.

Mettre l’accent sur les comportements à risque

Dès les premières années de l’épidémie, la réalité biomédicale du VIH a profondément façonné les analyses des sciences sociales [Gagnon, 2008].  De nombreuses enquêtes offrent une lecture limitée des relations sociales qui façonnent la sexualité, en mettant l’accent sur les comportements à risque ou les pratiques de pénétration. Bien que la recherche sur le VIH représente une base de données inestimable sur les questions sexuelles, il est essentiel de jeter un regard critique sur certaines de ses hypothèses et de ses angles morts. L’alerte lancée en 1981 autour des premiers cas de sida ressemblait à un coup de tonnerre.  Non seulement la maladie a été mortelle à court terme, mais il a également été découvert qu’elle pouvait être transmise sexuellement, par le sang et de la mère à l’enfant pendant la grossesse et à la naissance. Dès les premières années de l’épidémie, la délimitation des populations « à risque » est ainsi devenue une question politique centrale dans les débats publics.  Bien que les patients aient été diagnostiqués dans tous les groupes sociaux, le virus a touché de manière disproportionnée des segments spécifiques de la population: les communautés homosexuelles;  les personnes qui consomment des drogues; les migrants d’Afrique;  les personnes trans.

Au cours des années 1980, l’épidémiologie est devenue l’une des disciplines clés dans la compréhension du VIH/sida.  Toutefois, les données collectées sont sujettes à interprétation, la classification par « modes de transmission » ne permettant pas de prendre en compte la diversité interne des groupes concernés.  En France, par exemple, dans un contexte marqué par la montée du Front national, les pouvoirs publics ont choisi de ne pas indiquer l’origine géographique des personnes infectées de peur de renforcer la stigmatisation des immigrés [Marsicano, 2014].  La réalité de l’épidémie dans les communautés d’origine africaine est donc restée invisible en France jusqu’à la fin des années 1990. Au tournant des années 1990, avec la création de l’Agence nationale pour la recherche sur le sida (ANRS), la recherche en sciences sociales sur le VIH a émergé.  L’épidémie a créé un contexte favorable à l’élaboration d’enquêtes approfondies basées sur la population sur la sexualité.  En 1992 et 2006, deux enquêtes sur le comportement sexuel des personnes Français ont permis de mesurer les habitudes sexuelles et les niveaux d’adaptation au risque de VIH en fonction du sexe, de la classe sociale et de l’orientation sexuelle [Bajos et coll., 1998; Bajos et Bozon, 2008].  D’autres enquêtes ciblent également les jeunes [Lagrange et Lhomond, 1997].

Médicalisation de la prévention

À partir de 1996: introduction de thérapies sur le marché;  a été un  tournant central dans l’histoire de l’épidémie. Dans les pays du Nord, la baisse de la mortalité a été spectaculaire. Pour de nombreux patients et leurs familles, anticipant une mort imminente, c’était une période d’apprentissage de la vie avec la maladie et les traitements.  Dans ce contexte, de nouvelles questions émergent dans le domaine de la prévention des risques sexuels. Alors que la question de l’accès au traitement a dominé la période qui a suivi l’introduction de la trithérapie, les années 2000 ont représenté un tournant pour la recherche sur la prévention du VIH. Le nombre toujours élevé de nouvelles infections, en particulier en Afrique, sape les efforts visant à fournir un accès aux soins. L’efficacité des traitements, en abaissant la charge virale,  réduit considérablement les risques de transmission.  Ce dernier constat permet d’imaginer la « fin de l’épidémie » d’ici quelques décennies [Berdougo et Girard, 2017]. La prévention est donc devenue un nouveau domaine de développement pour la recherche biomédicale.  De nombreux essais randomisés sont ainsi menés, notamment sur le continent africain, pour évaluer l’efficacité de nouvelles stratégies de prévention biomédicale, comme la circoncision.

Dans la seconde moitié des années 2000, la prévention par les médicaments antirétroviraux était au cœur de la recherche. Son efficacité a été étudiée chez les couples « sérodiscordants » – où l’un des partenaires est séropositif – mais aussi chez les personnes séronégatives « à risque » – c’est ce qu’on appelle la prophylaxie pré-exposition.  Alors que les préservatifs sont l’option recommandée pour  la plupart de la population, la médicalisation est maintenant au cœur de la prévention [Nguyen et al.] . En réduisant radicalement les risques de transmission, la médicalisation de la prévention permet d’envisager une banalisation de la maladie.  Cependant, malgré ces nombreux progrès en matière de traitement et de prévention, la discrimination à l’égard des personnes vivant avec le VIH persiste [Marsicano et al., 2014] et la découverte de la séropositivité reste marquée par un sentiment de honte et de culpabilité [Perez, 2020]. Révélation des inégalités de genre, de race, de sexualité et de classe, le VIH reste indéniablement une « épidémie politique » [Pinell, 2002]. Rarement dans l’histoire une maladie a provoqué de tels bouleversements dans la sexualité, la médecine, la santé publique ou la mobilisation des patients.  Il s’agit donc d’un domaine de recherche clé pour les sciences sociales. Aujourd’hui, les femmes représentent 30% des infections en France sans que des politiques de prévention spécifiques ne leur soient destinées. 
Les femmes comme vecteurs de transmission

Première enquête sur les femmes et le VIH en France en 1993 : PREVAGEST

Vise à étudier les risques de transmission mère-fœtus/périnatale.  Très peu d’études sur les femmes, bien qu’elles soient plus susceptibles d’être infectées par le VIH pendant les rapports sexuels. Les muqueuses exposées pendant les rapports sexuels sont plus étendues chez les femmes que chez les hommes.  La concentration du virus est plus élevée dans le sperme que dans les sécrétions vaginales. La quantité de liquide transférée (liquide séminal et sperme) par l’homme est supérieure à la quantité de liquide transférée par la femme.  Les micro-déchirures de tissu vaginal (ou rectal) peuvent être causées par des rapports sexuels. Perception du risque à travers le prisme des normes de genre.  Construction de « la femme » selon des dynamiques hétérosexistes et racialisées : blanche, classe moyenne, hétéro, mariée, asexuée, elle incarne la sécurité et la norme familiale. [Kitzinger (1994), Visible and Invisible Women in AIDS discourses].. Le monde scientifique et médical ne comprend la santé des femmes qu’en termes de stéréotypes de genre qui les assignent à des fonctions reproductives qui ont été exclues de la construction de problèmes majeurs de santé publique [Membrado, 2006].

Un effet d’altération : essais cliniques et développement de traitements

En particulier, l’histoire androcentrique de la médecine et du VIH a conduit à une sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. L’efficacité, l’innocuité et la toxicité des traitements sont le plus souvent évaluées sur des sujets masculins, avec des différences notables de poids corporel et de poids.  Par conséquent, les traitements développés de cette manière ne sont pas toujours parfaitement adaptés aux caractéristiques physiologiques et sociales des femmes, ce qui affecte l’observance du traitement. Bien que l’efficacité des traitements antirétroviraux soit globalement la même pour les femmes et les hommes, les effets secondaires sont différents, parfois plus importants dans ces derniers. Par exemple, la lipodystrophie: un traitement prolongé peut produire une distribution de graisse  « masculine ». Les normes de genre n’ont pas le même poids chez les femmes que chez les hommes, ce qui augmente le coût psychologique de la maladie et de la stigmatisation.

Déterminants systémiques de la vulnérabilité des femmes à la santé

Minimisation politique: manque de représentation politique, la politique de santé est souvent planifiée sans représentation ou considération féminine. Les besoins des femmes en matière de santé ne sont pas reconnus. Les femmes ne constituent pas un groupe homogène, structuré et doté de réseaux relationnels forts, susceptibles d’être mobilisés. Dépendance économique : Non rémunérés et non reconnus pour leur travail domestique (Delphy, Guillaumin) ; payés moins que les hommes; les femmes ne sont pas les bienvenues dans certaines professions et sont les premières à être licenciées en temps de crise, ce qui rend la majorité d’entre elles dépendantes; ils ont moins de possibilités ou de capacités de mettre fin à des relations malsaines, dangereuses et violentes; recours plus fréquent à une sexualité victime de la traite. Conscience de soi médiatisée [Mathieu, 1991] Influence des rôles sociaux de genre; moins d’autonomie, la dépendance inculquée pour les décisions; absence d’initiative normalisée et naturalisée, valorisation de la soumission, séduction, absence d’estime de soi (célibataire ou sans enfant. Construction pathologique de la féminité [Dorlin, 2006] : le corps des femmes est perçu comme faible, sale, à corriger – > Manque d’éducation sexuelle, encouragement des femmes à connaître leur corps, leur plaisir, à prendre soin d’elles-mêmes pour elles-mêmes… Pas d’encouragement des filles à pratiquer du sport, à acquérir de la confiance en soi et de l’estime de soi

Un autre exemple d’inégalités en matière de santé est l’enquête « Parcours » – 2013 – Une enquête de 2013 auprès de 3 000 migrants subsahariens et du VIH dans Tsahal.  Ils représentent 31 % des nouveaux diagnostics de VIH en 2012 – 61 % des nouveaux diagnostics chez les femmes, contre 17 % chez les hommes – [Cazein et al., BEH 2014] : c’est le 2e groupe le plus touché par le VIH après les HARSAH. Les ressortissants d’un pays d’Afrique subsaharienne ont une incidence 29 fois plus élevée chez les hommes et 69 fois plus élevée chez les femmes que chez les hétérosexuels de nationalité Français [Le Vu et coll. TLID 2010]..  Plus de la moitié des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête Parcours ont été infectées en France. Il ne s’agit pas d’une épidémie importée. La précarité favorise les situations sexuelles à risque – relations sexuelles, violences sexuelles, rapports sexuels non protégés, etc.). Une vulnérabilité spécifique rend difficile l’accès au dépistage, au diagnostic et aux soins.

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